7 ans

Y en a qui disent qu’on a 2 vies, et que la seconde commence quand on comprend qu’on en a qu’une. Moi j’en suis à ma troisième.

La première était bien chiante, j’ai pris sans retenue tout ce que la seconde m’a offert, et la troisième m’a appris qu’on était vraiment rien et que rien ou si peu n’est vraiment important. C’est assez effrayant, c’en est peut être même horrible, c’est pour ça que c’est la première fois que je le verbalise aussi clairement.

Ma troisième vie a commencé il y a 7 ans.

Presque une année à t’accompagner dans ton combat contre cette merde. À t’accompagner mal, certainement, mais même encore aujourd’hui je ne sais pas comment on accompagne bien sa mère atteinte d’un cancer au stade 4. Dix mois à garder espoir alors qu’on savait bien que c’était vraiment pas gagné. Quarante trois semaines… de moments de vie qu’on veut le plus normaux possible, de sourires, de mots qu’on ne disait jamais jusqu’alors, de larmes et de fous rires. Les derniers.

T’étais vraiment une connasse et une vipère et si je me permets de le dire ici c’est parce que je l’ai déjà dit et que je te l’ai dit aussi. Mais comme toutes les connasses et toutes les vipères, tu étais tellement plus et tellement mieux. Je t’aimais et t’aime toujours du plus profond de mon âme pour l’humaine que tu étais.

Et puis, tu es partie.

Une seconde. C’est le temps qu’il faut pour qu’une vie entière se termine. Et le Monde n’en a rien à foutre. Après tout, à chaque seconde des vies entières se terminent et se termineront, il ne s’arrêtera jamais pour si peu. Mourir finalement, c’est terriblement banal.

En une seconde tu n’étais plus là et ce fut tellement rapide qu’à part être assourdie je ne suis pas sûre d’avoir réellement pris la mesure de ce qui était en train de se passer. Cette seconde m’a transpercée mais j’étais également soulagée que tu ne souffres plus. J’ai envoyé un message à je ne sais plus qui pour lui annoncer ton départ, un peu comme si je refilais la patate chaude à quelqu’un d’autre et que ça allait annuler tout ce qui venait de se passer. Le Monde ne s’est pas arrêté non, mais moi oui, et je ne sais plus combien de temps a duré cette désynchronisation. On m’a donné ta valise, ton sac à main, ton manteau et une vingtaine de certificats de décès pour te faire disparaitre administrativement aussi. Voilà, toutes nos condoléances.
C’est tout.

 

Si la disparition d’une mère est brutale, le pire reste l’absence. Tu t’en rends pas compte au début parce que t’as 50 000 trucs à faire et puis surtout t’es occupée à essayer de ne pas trop perdre pied. Mais quand tout s’apaise, tu le prends en pleine gueule. Et puis encore plus tard, un jour: 7 ans.

Parfois quand elle me manque je me surprends à penser fugacement que c’est temporaire. Une fraction de seconde jusqu’à ce que je me rappelle du caractère irréversible de la situation. C’est pas tant que je refuse son départ c’est juste que des fois quand on s’engueulait elle pouvait bouder pendant 3 semaines et mon cerveau connecte à ce qui l’arrange le mieux.

Paradoxalement, toujours, parce que tout est paradoxal dans cette histoire, j’ai la vie la plus apaisée qui soit parce que sa maladie et son décès m’ont fait conscientiser qu’on se pourrit la vie pour des conneries la plupart du temps. Je ne dis pas que je ne vrille pas – 10 minutes à la louche – quand il m’arrive une merde, mais je catégorise tellement efficacement les dites merdes que si personne n’est en train de mourir alors y a pas de problème.

Alors ça va aller, d’une manière ou d’une autre, c’est juste que ça fait 7 ans, et que cette année c’est plus difficile que les précédentes.

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